Comment protéger juridiquement les algorithmes de l’intelligence artificielle ?

Dans les domaines de l’informatique ou des mathématiques, un algorithme peut se définir comme un ensemble de règles à mettre en application avec un certain nombre de données en vue d’aboutir à un résultat défini.
Il peut être considéré comme un élément essentiel de notre économie, notamment depuis le développement de l’intelligence artificielle dont il constitue l’un des piliers.

Malgré l’importance de son rôle, l’algorithme ne fait pas encore l’objet d’une définition juridique, et a fortiori d’un encadrement et d’une protection par le droit.
On pourra toutefois espérer l’apparition des prémices de cet encadrement au regard de la Loi pour une République numérique promulguée le 7 octobre 2016 à l’initiative d’Axelle Lemaire, qui était alors secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation. En effet, ce texte définit ce qu’est une plateforme et s’appuie pour ce faire sur le terme d’algorithme. On peut ainsi lire qu’est « qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers. »

Les algorithmes n’étant donc pas visés directement par un quelconque régime juridique, il apparaît par conséquent nécessaire de recourir aux régimes de droit existant afin de les protéger.
Initialement conçus dans des optiques semblant parfois très éloignées des préoccupations des algorithmes de l’intelligence artificielle, ces mécanismes juridiques peuvent néanmoins représenter un moyen opportun d’entourer les algorithmes de manière indirecte.
Bien qu’intéressants, ces régimes juridiques sont toutefois loin d’être toujours adaptés aux situations mettant en cause les algorithmes de l’intelligence artificielle, et leur mise en pratique est susceptible d’impliquer certains défauts de protection.

Le premier d’entre eux est le droit d’auteur. Il s’agit du droit qui protège les œuvres littéraires, les créations musicales, graphiques et plastiques, mais également d’autres formes de créations tels que les logiciels. Cependant, les idées qui ont conduit à aboutir à une œuvre, y compris les méthodes et les principes mathématiques, ne peuvent rentrer dans le cadre de la protection par le droit d’auteur. En effet, la Première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt Paradis du 13 novembre 2008 que seule une œuvre exprimée dans une réalisation matérielle originale est susceptible d’en bénéficier. La même juridiction a affirmé dans un arrêt du 17 octobre 2012 que l’originalité d’un logiciel est admise si est rapportée la preuve d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de son auteur.

Une deuxième solution sans doute plus efficace est le recours au brevet. Il s’agit d’un droit de propriété intellectuelle sur une invention, le titulaire du brevet se voyant par ce biais attribuer un droit de monopole sur cette invention.
D’après le Code de la propriété intellectuelle (CPI), pour qu’une invention puisse rentrer dans le champ de la brevetabilité, il faut d’abord qu’il s’agisse bien d’une activité inventive (Art. L.611-10). Ceci se vérifie en recherchant « si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique » (Art. L. 611-14), et
que son objet puisse être « fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie » (Art. L.611-15). Autrement dit, l’invention en question doit être susceptible d’une application industrielle.
De plus, l’invention doit être nouvelle (Art. L.611-10), ce qui sera le cas si « elle n’est pas comprise dans l’état de la technique » (Art. L.611-11), cet état étant entendu comme tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

En principe, le CPI exclut du domaine des inventions, et donc de la brevetabilité, « les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs » (Art. L. 611-10). Cette exclusion se retrouve même aux Etats-Unis, dont le régime des brevets est pourtant historiquement plus souple que celui du droit français, ce que l’on peut observer au regard de l’arrêt Alice Corp. rendu le 19 juin 2014 par la Cour Suprême qui rappelle qu’un algorithme n’est pas brevetable en ce qu’il relève du domaine de l’idée.
Néanmoins, l’Office européen des brevets (OEB) admet qu’une invention mise en œuvre par ordinateur puisse être brevetée dès lors qu’elle « résout un problème technique par un moyen nouveau et non évident[i] ». Cette solution découle de la jurisprudence de l’OEB, et notamment de sa décision du 15 juillet 1986 dans laquelle il établit une distinction entre la méthode mathématique et le procédé technique comprenant cette même méthode.
L’OEB précise toutefois que la contrepartie de la protection procurée par le brevet consiste en l’entière divulgation de l’œuvre au public, ce qui peut représenter un frein à la motivation des entreprises qui envisageraient de recourir à ce procédé. En outre, celui-ci impliquerait pour les entreprises l’obligation de déposer un nouveau brevet à chaque modification de l’algorithme, ce qui entrainerait par conséquent un coût supplémentaire.

Finalement, on peut constater au regard de la pratique des affaires que ces droits de propriété intellectuelle que sont le droit d’auteur et le droit des brevets sont moins appréciés que d’autres procédés issus du droit commun, à savoir la voie contractuelle, la responsabilité extra-contractuelle (ou délictuelle) ou encore le droit pénal.

Si l’entreprise décide de protéger l’algorithme par la contractualisation, cela consistera en la conclusion d’un accord de confidentialité. Il s’agit d’un contrat dans lequel deux ou plusieurs partenaires commerciaux s’accordent pour maintenir confidentielles certaines informations importantes. Il sera toutefois fort utile de préciser dans l’accord que les partenaires s’engagent à respecter la confidentialité des ces informations même après la cessation du contrat.

En ce qui concerne la responsabilité délictuelle, l’entreprise pourra éventuellement exercer une action en responsabilité sur le fondement de l’action en concurrence déloyale. Celle-ci est fondée sur le régime général de responsabilité du droit français introduit aux articles 1382 et 1383 du code civil, et résulte d’un comportement de nature préjudiciable effectué par un commerçant envers un autre et implique de démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

Pour ce qui est du droit pénal, il est pour l’instant loin d’être à même de concéder une protection satisfaisante en matière d’algorithme. On relèvera toutefois un certain développement de la jurisprudence à ce niveau, avec par exemple un arrêt rendu le 5 février 2014 par la Cour d’appel de Versailles qui admet le vol de fichiers informatiques, le vol étant défini par le Code pénal comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » (Art. 311-1).

En tout état de cause, c’est de l’Union européenne que viendra l’un des changements les plus importants en matière de protection juridique des algorithmes, avec la directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, qui devra être transposée avant le 9 juin 2018.
La directive définit dans son article 2 les secrets d’affaires comme « des informations qui répondent à toutes les conditions suivantes: elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles, elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes, elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».
De manière générale, cette directive permettra notamment de faire bénéficier au détenteur du secret d’affaires des mesures de protection et de réparation.

[i] https://www.epo.org/news-issues/issues/software_fr.html

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