Intelligence artificielle, transhumanisme et droit

Le transhumanisme renvoie à l’idée d’une communauté d’intellectuels et de professionnels regroupés autour de la volonté partagée de s’appuyer sur le développement de la science et des nouvelles technologies pour faire évoluer l’espèce humaine. Il s’agirait pour l’Homme d’être en mesure de transcender sa condition par le perfectionnement que pourraient effectuer les nouvelles technologies sur ses capacités physiques, mais également mentales. L’objectif ultime de ce mouvement est de permettre à l’Homme de se détacher des quatre principaux défauts qui constituent son essence, à savoir le handicap, la maladie, la vieillesse et la mort.

A l’heure actuelle, les espoirs des transhumanistes sont dopés par la progression fulgurante des nouvelles technologies dans de nombreux domaines, y compris celui de l’amélioration du corps humain dont les exemples sont désormais légion. Ainsi, des chercheurs chinois ont modifié des embryons humains dans le but de leur intégrer une résistance au VIH[i]. Dans un article paru le 8 avril 2016 sur le site de sciences nature.com, l’auteur explique que les scientifiques ont réussi ce tour de force par le recours au processus CRISPR–Cas9 qui permet la modification des embryons[ii].

On peut également citer le casque Halo Sport[iii], destiné à stimuler les zones du cerveau humain relatives à la mémoire et aux mouvements. L’entreprise californienne Haro Neuroscience, qui a conçu ce casque, explique que celui-ci a déjà fait ses preuves pour des améliorations à court terme, puisque des essais ont démontré qu’il permettrait à l’Armée américaine de réduire de moitié le temps de formation consacré à ses pilotes de drones. Dans la même veine, l’entreprise a affirmé que des skieurs olympiques américains auraient vu leur force physique augmentée de 31% lors d’essais effectués avec ce produit[iv].

Mentionnons enfin le bandeau Dreem, créé par la société française Rythm, et dont l’intérêt est d’augmenter la qualité des phases de sommeil profond dans le cadre des périodes de sommeil[v][vi].

De manière attendue, l’essor des nouvelles technologies perfectionnant le corps humain s’accompagne de celui de l’intelligence artificielle. A titre d’exemple, on peut observer qu’en médecine, le robot Watson conçu par IBM dispose de toutes les facultés techniques pour effectuer des analyses à-propos de l’ensemble des données utiles concernant un patient, tels que les symptômes dont ce dernier fait l’objet. Ce faisant, Watson peut proposer un diagnostic au patient en question, mais également effectuer des comparaisons entre les différents patients et les divers traitements appliqués[vii].

En outre, il peut être intéressant d’observer que le transhumanisme peut aussi se voir alimenté par l’intelligence artificielle en raison de la crainte que celle-ci suscite chez certains acteurs notoires des nouvelles technologies. C’est notamment le cas d’Elon Musk, connu pour avoir fondé les sociétés SpaceX, spécialisée dans le vol spatial, et PayPal, un site de paiement en ligne. Il doit également sa notoriété à son rôle de dirigeant de l’entreprise Tesla, axée sur la conception et la commercialisation de voitures haut-de-gamme fonctionnant à l’énergie électrique. Elon Musk est très critique quant aux progrès de l’intelligence artificielle, y voyant une réelle menace pour l’Humanité. Suivi par 115 experts de l’intelligence artificielle et de la robotique, il a rédigé une lettre ouverte à l’intention des Nations Unies afin de les alerter sur le danger imminent que représenterait le développement de l’intelligence artificielle, et dans le but de faire adopter en urgence des règles juridiques concrètes portant sur l’interdiction des armes autonomes[viii]. Selon lui, l’intelligence artificielle peut s’avérer devenir le déclencheur d’une troisième guerre mondiale[ix].

De manière générale, l’intelligence artificielle évolue à une vitesse telle que les individus qui n’y auront pas été formés se trouveront totalement dépassés par ces nouvelles technologies, et rapidement mis au banc de la société.

La solution que propose Elon Musk pour résoudre ce problème est d’une certaine manière ancrée dans le mouvement transhumaniste, puisqu’elle consiste en l’amélioration des capacités intellectuelles de l’être humain par l’intermédiaire des nouvelles technologies pour que le cerveau de l’Homme soit en mesure de s’adapter à l’ascension de l’intelligence artificielle.

C’est dans cette optique que le fondateur de SpaceX a lancé au cours de l’année 2016 un projet du nom de Neuralink[x]. Cette entreprise est fondée sur la recherche de technologies qui seraient en mesure d’établir des connexions entre un cerveau humain et un ordinateur, l’idée principale étant d’augmenter la faculté de l’être humain à comprendre l’intelligence artificielle.

Comme souvent lors des évolutions sociétales rapides, le droit est actuellement toujours silencieux en ce qui concerne le transhumanisme. Faut-il consacrer juridiquement des principes autorisant la marche vers le transhumanisme ?

Certains observateurs considèrent que l’observation de la jurisprudence permet de déduire une réponse positive à cette question. C’est le cas de Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ). Selon lui, l’arrêt Costa et Pavan contre Italie rendu le 28 août 2012 par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) marque le premier pas vers la reconnaissance juridique du transhumanisme. Dans cet arrêt, la Cour proclame le droit, pour des parents porteurs d’une maladie génétique, de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par cette maladie. D’après Grégor Puppinck, ceci illustre la volonté des juges européens de faire remplacer par les libertés individuelles les droits de l’Homme, et par extension la nature humaine. Le transhumanisme ne serait alors qu’une manière pour une personne d’appliquer son droit à la liberté individuelle comme elle l’entend[xi].

En ce qui concerne le niveau législatif, bien qu’il n’y existe pour l’instant rien qui soit destiné à l’encadrement du transhumanisme, il convient de souligner la publication en mai 2009 par le Parlement européen d’un rapport intitulé « Human enhancement », soit « l’amélioration de l’Homme ». La lecture de ce texte permet d’en conclure qu’il promeut un début de régulation du transhumanisme, ayant pris la mesure des risques et des avantages inhérents à ce mouvement.

Comme le font remarquer l’avocat Gérard Haas et la juriste Laetitia Levasseur dans un article dédié à ce sujet[xii], la rédaction de ce rapport européen a sans doute été inspirée par celle d’un rapport américain similaire publié en 2003 par les auteurs Mihail C. Roco et William Sims Bainbridge, et dont le nom est « Converging Technologies for Improving Human Performance – Nanotechnology, biotechnology and Cognitive Science ».

Malgré l’absence de règles juridiques concrètes sur le transhumanisme, de nombreux acteurs du droit s’interrogent sur l’évolution du transhumanisme et sur le régime qui serait susceptible de le réguler juridiquement. C’est notamment le cas du cabinet d’avocats Haas, qui a organisé le 22 juin 2017 un « procès du transhumanisme » présenté au Palais de Justice de Paris. Ce procès est basé sur un scénario fictif selon lequel l’histoire se déroule à Paris en 2037 et le transhumanisme est ancré dans la réalité quotidienne. Les participants à ce projet avaient alors pour mission d’imaginer des situations qui pourraient concerner le transhumanisme dans un futur proche, et de lier ces hypothèses à des règles de droit[xiii].

 

[i] https://iatranshumanisme.com/2016/04/10/les-scientifiques-chinois-modifient-encore-des-embryons-humains/

[ii] http://www.nature.com/news/second-chinese-team-reports-gene-editing-in-human-embryos-1.19718?WT.mc_id=TWT_NatureNews

[iii] https://www.haloneuro.com/

[iv] https://www.industrie-techno.com/halo-sport-le-casque-qui-booste-vos-neurones.43719

[v] http://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-top-7-technologies-ameliorer-notre-cerveau-66314/

[vi] https://dreem.com/fr/

[vii] https://www.planetesante.ch/Magazine/Actualites-et-recherche/Technologie/Intelligence-artificielle-la-medecine-en-mutation

[viii] https://futureoflife.org/autonomous-weapons-open-letter-2017

[ix] https://tempsreel.nouvelobs.com/tech/20170905.OBS4253/pour-elon-musk-l-intelligence-artificielle-peut-mener-a-la-troisieme-guerre-mondiale.html

[x] https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/elon-musk-lance-neuralink-pour-connecter-nos-neurones-a-l-intelligence-artificielle_111658

[xi] https://www.la-croix.com/Ethique/Medecine/Transhumanisme-Les-droits-de-l-homme-accompagnent-l-homme-nouveau-2014-10-31-1229917

[xii] https://www.proces-du-transhumanisme.com/single-post/2017/06/15/Le-droit-un-alli%25C3%25A9-du-transhumanisme-

[xiii] https://www.proces-du-transhumanisme.com/

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