La protection des œuvres créées par l’intelligence artificielle

Le développement de l’intelligence artificielle entraîne des évolutions considérables dans certains domaines. C’est le cas pour la plupart des disciplines qui relèvent du milieu artistique telles que la musique, le cinéma, la peinture ou encore la danse.

En ce sens, le projet Magenta porté par l’entreprise Google a créé un morceau de musique à partir de rien en utilisant simplement quatre notes. Bien que l’audition de cette pièce d’une minute et demi ne permette pas non plus d’arriver à la conclusion d’une révolution imminente dans le monde de la musique[i], son apport principal réside dans la preuve apportée qu’une intelligence artificielle peut faire montre de créativité si tant est que des exemples lui aient été mis à disposition au préalable[ii].
En matière de danse, ou plus précisément de chorégraphie, le système d’intelligence artificielle Watson conçu par l’entreprise IBM a pour particularité de rendre un robot capable d’inventer une nouvelle chorégraphie sans recevoir d’ordre issu de l’être humain[iii].
Pour ce qui est de la peinture, des chercheurs de l’Université de Rutgers (New-Jersey) ont dévoilé en juin 2017 des programmes qui créent des œuvres non seulement à partir de rien, mais également qui ne s’inscrivent dans aucun courant artistique connu[iv].
Concernant le cinéma, le réalisateur Oscar Sharp et le chercheur Ross Goodwin ont conçu un système d’intelligence d’artificielle capable d’écrire des scénarios de films. Le robot, intitulé Benjamin, a déjà écrit le scénario de Sunsprising, un court-métrage de science-fiction d’une durée de neuf minutes[v].

Malgré ces progrès indéniables de l’intelligence artificielle dans l’univers de la création, il faut relever qu’il n’existe aucun fondement juridique qui permettrait de protéger ces œuvres vis-à-vis des tiers. En effet, l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». La déduction qui s’impose à la lecture de cet article est que pour pouvoir jouir d’un droit de propriété sur une œuvre, il est nécessaire d’avoir un esprit, et a fortiori d’être humain.

S’inscrivant dans la lignée de l’idée de la loi, la jurisprudence a elle aussi refusé la reconnaissance de cette protection aux œuvres créées par des systèmes autonomes. Dans un arrêt du 15 janvier 2015, la Première chambre civile de la Cour de cassation a justifié cette position en expliquant que la protection d’une œuvre ne peut être accordée que si est démontrée l’existence d’un critère d’originalité. D’après les juges, ce critère est lié de manière intime à la personnalité de l’auteur, ce qui implique l’impossibilité d’adapter ce régime de protection aux œuvres issues de l’intelligence artificielle.
C’est ce critère de l’originalité qui est véritablement au cœur du problème, la jurisprudence ayant d’ailleurs reconnu depuis un certain temps l’aide précieuse qu’étaient susceptibles d’apporter les machines, y compris dotées d’intelligence artificielle, dans le cadre de la création assistée. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a considéré dans un arrêt du 3 mai 2006 que « l’on ne saurait méconnaître (…) l’apport des techniques informatiques tant dans le domaine de la création que de l’interprétation ». Cette solution se limite toutefois aux cas où les machines ne sont que des instruments ayant permis à l’être humain de laisser l’empreinte de sa personnalité dans une œuvre, c’est-à-dire sans prendre en considération la possibilité pour un système d’intelligence artificielle d’être l’auteur d’une œuvre.

Certaines avancées sont peut-être à prévoir, notamment avec le projet de rapport rendu par la Commission des affaires juridiques européennes le 31 mai 2016 dans lequel celle-ci explique à la Commission qu’aucun système juridique propre aux robots n’est en vigueur pour l’instant, d’où l’importance de déterminer un certain nombre de critères qui seraient à même de définir les créations intellectuelles créées par des machines autonomes afin que ces œuvres puissent être protégeables[vi].

Cependant, on ne peut que constater à l’heure actuelle l’inexistence d’un quelconque régime juridique permettant de garantir aux robots la propriété intellectuelle de leurs œuvres, qui risquent de tomber dans le domaine public.
En effet, ces créations ne seront même pas considérées comme étant celles du propriétaire du robot, si l’on s’en tient à ce qu’a estimé en 2011 le Copyright Office américain dans une publication dans la troisième édition du « Compendium of US Copyright Office Practices ». Il s’agissait en l’occurrence d’un singe qui s’était pris lui-même en photo avec l’appareil photo d’un touriste. Selon l’Office, cette photo n’appartient ni au singe, ni au touriste, elle est libre de droits. Le texte précise que pour être éligible à protéger un travail au titre de la propriété intellectuelle, il est impératif d’avoir la qualité d’être humain (« one must be a living, breathing, Homo sapiens»)[vii].

[i] https://www.youtube.com/watch?v=6ZLB2-_0Hxw

[ii] https://raje.fr/google-magenta-robot-cree-de-musique-7021

[iii] http://www.numerama.com/tech/162397-lia-watson-dibm-fait-danser-le-robot-nao.html

[iv] http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/science-actualites/detail/news/quand-lintelligence-artificielle-se-fait-artiste/?tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&cHash=2abbb8ad7e90130e4a2c483b895f5e83

[v] http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/06/10/une-intelligence-artificielle-ecrit-le-scenario-d-un-court-metrage_4947819_4408996.html

[vi] http://www.lexisnexis.fr/pdf/2016/JCP/JCPG37-EQ.pdf

[vii] https://www.csmonitor.com/Technology/Tech-Culture/2014/0822/US-government-Monkey-selfies-ineligible-for-copyright

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