Le groupe de travail France IA lancé le 20 janvier 2017 pour une durée de deux mois a, dans son rapport de synthèse, souligné l’importance pour la France d’établir une stratégie efficace en matière d’intelligence artificielle dans un certain nombre de domaines comprenant celui de la souveraineté et la sécurité nationales[i].
Relevant l’essor économique que constitue l’intelligence artificielle, notamment avec le recensement par la plateforme économique CBInsights de 1600 startups spécialisées dans ce domaine au niveau mondial, le rapport met en valeur le fait que l’intelligence artificielle représente de plus en plus un enjeu politique et diplomatique.
En guise d’illustration, le rapport prend à titre d’exemples les Etats ayant le plus investi dans l’intelligence artificielle tel que la Corée du Sud, qui a prévu la création d’un centre de recherche national qui bénéficiera d’un budget de 800 millions sur une période de cinq ans, ou encore la Chine qui a annoncé la mise à disposition d’un budget réservé à l’intelligence artificielle de 140 millions d’euros à son Académie des sciences. Au total, la Chine va investir 13,5 milliards d’euros dans l’intelligence artificielle sur une période de trois ans.
Quant au Japon, il a investi en 2016 la somme de 214 millions d’euros dans deux centres de recherche en IA fondamentale et appliquée. Le continent américain n’est pas en reste non plus, puisque le Canada a créé un pôle NextIA doté d’un financement propre.
Pour ce qui est de la France, au terme du projet France IA le 21 mars 2017, le gouvernement de François Hollande a pris conscience de l’ampleur de la question en s’engageant par exemple à financer 10 startups de l’IA en accordant à chacune de ces entreprises un financement de 25 millions d’euros sur une période de cinq ans[ii]; mais surtout en débloquant une enveloppe de 1,5 milliards d’euros sur dix ans[iii].
Le compte Twitter de l’Elysée a d’ailleurs diffusé ce jour-là que « Les nations qui maîtriseront l’intelligence artificielle seront les puissances de demain », en reprenant une formule de François Hollande. Ce point de vue est partagé par le Président russe Vladimir Poutine, qui a affirmé le 1er septembre 2017 devant des écoliers russes que le premier Etat à maîtriser l’intelligence artificielle sera le maître du monde: « whoever becomes the leader in this sphere, will become the leader of the world »[iv].
A ce propos, le rapport France IA soulève une multitude d’interrogations concernant la souveraineté et la sécurité nationales de la France, notamment sur le point de savoir si le futur contexte induit par le développement de l’intelligence artificielle et les investissements massifs de certains Etats permettra à la France d’être en mesure « d’assurer la protection de ses objectifs essentiels ». Est également posée la question de la compétence de la France à relever les défis, principalement technologiques, qui sont susceptibles d’apparaître dans ces nouvelles circonstances.
De manière attendue, le risque le plus inquiétant serait celui d’une éventuelle dépendance économique de la France vis-à-vis des plus gros investisseurs comme la Chine[v]. Toutefois, l’intelligence artificielle pourrait tout autant apparaître comme le meilleur moyen de perfectionner les outils destinés à la défense et à la protection.
En outre, un colloque intitulé « Intelligence artificielle : des libertés individuelles à la souveraineté nationale » organisé par la Commission Supérieure du Numérique et des Postes (CSNP) en partenariat avec Eurogroup consulting s’est tenu le 14 février 2017 à l’Assemblée nationale[vi].
Jean Launay, député du Lot et Président de la CSNP, y explique que les questions relatives à l’intelligence artificielle proviennent du constat que pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, il existe un facteur de progrès qui n’est pas issu directement de l’être humain et auquel il est par conséquent nécessaire de porter un intérêt particulier.
Dans ce cadre, des parlementaires, des chercheurs ainsi que des dirigeants d’entreprises ont été amenés à mener des discussions communes à-propos de quatre thèmes principaux. Il s’agissait de l’état de la recherche en matière de big data, d’algorithmes et de technologies prédictives, de la révolution des sociétés de services, de la relation en libertés individuelles et discernement orienté, et enfin de la souveraineté et de la sécurité nationales.
Ce dernier thème a été introduit par le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Rappelant dès le début de son discours les évolutions fulgurantes que connait aujourd’hui l’intelligence artificielle par rapport à sa lente progression depuis ces cinquante dernières années, il explique ensuite que cette ascension a pour conséquence que l’intelligence artificielle soit placée au centre des questions relatives à la souveraineté et à la sécurité, en prenant l’exemple des Etats-Unis. En effet, il s’agit là-bas du « third offset strategy » (en français la « troisième révolution stratégique ») introduite par l’ancien secrétaire à la défense américain Chuck Hagel en 2014. Ce concept renvoie au projet de créer une troisième rupture « après la dissuasion nucléaire puis l’explosion des nouvelles technologies de l’information », ceci dans le but de préserver la position de supériorité dont profitent les Etats-Unis à l’échelle internationale. L’intelligence artificielle sera alors associée mais également intégrée à l’hypervélocité, la lutte sous-marine et la guerre électronique.
Jean-Yves Le Drian souligne les hautes compétences de la France dans le domaine de la recherche, en mentionnant notamment les treize médailles Fields obtenues par la France, ce qui la place en tête des Etats détenant le plus de titres en mathématiques à égalité avec les Etats-Unis. De plus, il met en exergue la place importante qu’occupe la France dans le domaine de l’intelligence artificielle et plus spécifiquement dans celui de l’Internet des objets.
Cependant, il a également admis que l’un des points faibles de la France consiste à « trouver les moyens d’accélérer la transition entre la recherche académique, principalement financée par l’Etat, et les applications industrielles et militaires ». Selon lui, le meilleur moyen pour la France de préserver son autonomie stratégique, et par extension sa sécurité et sa souveraineté, repose dans les investissements dans l’intelligence artificielle.
C’est désormais à Cédric Villani, député de l’Essonne sous la bannière de La République en marche et titulaire de la médaille Fields de 2010, qu’il revient de s’occuper de définir une stratégie nationale dans ce domaine. Il s’est en effet vu confier une mission d’une durée de trois mois portant sur la recherche d’informations dans ce secteur par le Premier ministre Edouard Philippe et le Secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir Mahjoubi. Comme l’explique ce dernier, l’objectif de cette mission est de « proposer une stratégie pour les prochaines années[vii]« .
[i] https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Rapport_synthese_France_IA_.pdf
[ii] https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/avec-france-ia-le-gouvernement-expose-son-plan-pour-l-intelligence-artificielle_111473
[iii] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/nouveau-monde/nouveau-monde-un-plan-national-pour-lintelligence-artificielle_2087497.html
[iv] https://www.youtube.com/watch?v=2kggRND8c7Q
[v] http://www.numerama.com/business/172938-chine-va-investir-plus-de-13-milliards-deuros-lintelligence-artificielle.html
[vi] http://www.cigref.fr/wp/wp-content/uploads/2017/04/Colloque-IA-libertes-individuelles-securite-nationale.pdf
[vii] http://www.lejdd.fr/societe/intelligence-artificielle-cedric-villani-aux-cotes-de-mounir-mahjoubi-3425660