La liberté de penser peut se définir simplement comme celle qui consiste à permettre à l’individu de structurer à sa guise les éléments d’informations dont il dispose dans son esprit pour les articuler sous forme de pensées.
En France, cette liberté est consacrée au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, notamment dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789 qui a valeur constitutionnelle depuis la décision « Liberté d’association » rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971.
L’article 10 de la Déclaration dispose ainsi que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »
Dans une décision du 25 novembre 1977, le Conseil constitutionnel a considéré que cet article protégeait également la liberté de conscience, que le professeur Jean Rivero définit comme « la liberté d’opinion portant sur des questions morales et religieuses ».
De plus, l’article 11 du texte énonce que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Au niveau européen, l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) du 4 novembre 1950 proclame que « (1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
(2) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A l’échelle internationale, il existe un certain nombre de textes portant sur la liberté de penser.
On peut tout d’abord faire référence à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) du 10 décembre 1948, selon lequel « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »
Bien que la DUDH ne dispose pas d’une véritable valeur juridique, elle bénéficie d’une portée symbolique relativement importante.
De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 contient un article 18 qui affirme que « (1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
(2) Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix.
(3) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
(4) Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. »
Bien que toutes ces dispositions s’attachent principalement à protéger la liberté de penser dans le sens où les réflexions de l’individu ont été matérialisées par lui sous la forme d’une expression ou d’une opinion, il n’en reste pas moins, de manière évidente, que cette liberté offre également à son bénéficiaire la possibilité de penser librement tout en choisissant de laisser ses idées au stade de la pure pensée.
Cette distinction entre l’attitude extérieure et l’attitude que l’on pourrait appeler intérieure revêt d’ailleurs une importance déterminante lorsque l’on se situe sous l’égide du droit pénal. En effet, l’article 121-1 du Code pénale dispose que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Ce terme de « fait » renvoie à la nécessité d’une matérialisation, d’une action extérieure qui exclut d’emblée l’hypothèse d’une éventuelle instauration d’une infraction fondée sur une simple pensée. Cette situation juridique est très bien résumée par l’adage « un droit pénal démocratique est un droit pénal de l’acte.
Toutefois, la situation du droit concernant la liberté de penser pourrait se trouver quelque peu bousculée par certaines évolutions technologiques liées à l’intelligence artificielle. En effet, le chercheur japonais Yukiyasu Kamitani, enseignant à la Graduate School of Informatics de l’Université de Kyoto, a élaboré une intelligence artificielle dont la particularité est d’être capable de lire dans les pensées des volontaires se prêtant à l’expérience[i]. Pour ce faire, le scientifique a eu recours à la technique de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle, dont l’intérêt est de faire bénéficier à l’équipe de recherche de la faculté d’accéder indirectement à l’activité cérébrale de la personne. Initialement utilisée dans le cadre de la chirurgie du cerveau, cette technique a également servi d’autres domaines tels que la psychiatrie ou encore la psychologie cognitive et comportementale[ii].
En utilisant ce procédé, Yukiyasu Kamitani a réussi à enregistrer les activités du cerveau des volontaires pendant que ceux-ci observaient un certain nombre d’images. Par la suite, les activités récoltées ont été transférées à l’intelligence artificielle qui les a reconstituées de sorte que le résultat obtenu permette de reconnaître l’image d’origine.
Bien que les effets de cette invention doivent être relativisés eu égard à la qualité des images obtenues[iii], il semble tout de même que ce nouveau moyen d’utiliser l’intelligence artificielle marque une étape cruciale dans la possibilité d’avoir accès aux pensées humaines. Dans ce cas de figure, il pourrait être opportun que le droit puisse se moduler progressivement en fonction de ce type d’évolutions de manière à anticiper juridiquement les risques d’atteintes à la liberté de penser que l’usage de ces technologies pourrait entraîner.
[i] https://www.thetimes.co.uk/article/artificial-intelligence-can-see-whats-in-your-minds-eye-w6k9pjsh6
[ii] http://sciencepost.fr/2018/01/intelligence-artificielle-capable-de-lire-pensees/